L ' association 15-1 JUIN 40 vous souhaitent de très bonnes fêtes de fin d'années

La défense du village de Merlet et du passage sur la Suippe,
Récit écrit d’après le récit du Sous Lieutenant Villey , commandant le point d’appui installé dans le village



Dans la nuit du 8 au 9 juin , la 42éme division occupant un front de 18 km doit en occuper un de 30 km .Elle doit s’étendre à  l’ouest jusque Pontavert .Les mouvements s’exécutent à partir de minuit . Mais à 3h 30 l’attaque allemande se déclenche

Le village de Merlet se trouve en arrière de la ligne principale de défense ,qui est au nord sur la rivière Aisne .Mais une ligne d’arrêt a été mise en place sur tout le long de la rivière Suippe , mais qui est beaucoup moins fourni
Il s’agit de petits points d’appui isolés et établis tout au long de la rivière et le point d’appui de Merlet fait parti de ceux ci

A Merlet se trouve une section de 3 canons de 25mm , chargé de la défense anti char , notamment aux lisière sud du village ou s’étendent de vastes terrains propice à la circulation de chars .Une section de la 9éme compagnie se trouve là également .C’est celle de l’Adjudant Georges .Cette section de voltigeurs ,équipés de 4 fusils mitrailleurs , à la mission de protéger les entrées du village .Tout  cette ensemble   forme  un  point d'appui  qui  est  commandé  par  le Sous  Lieutenant  Francois VILLEY    de  la  CDAC


Le Sous  Lieutenant  Francois  VILLEY


Leurs missions est de tenir coute que coute et résister sur place quoi qu’il arrive , même encerclé .
Au nord de Merlet se trouve la Suippe avec ses rives boisés et broussailleuses , qui sont très favorables aux infiltrations. A l’ouest du village se trouve une voie ferré et entre elle et le village des champs de blés assez haut

Dans la nuit du 8 au 9 juin , à 3h 30 du matin le pilonnage d’artillerie commence .Certaine unité alors en cours de déplacement s’arrêtent sur place et s’accroche au terrain .Au fur et à mesure le pilonnage avance et vers 5 ou 6 heures les premiers coups atteignent la Suippe
Pas une parcelle de terrain n’échappe aux obus
Heureusement , les tranches abritent correctement les hommes .A Merlet , aucune perte ne sera à déplorer du au bombardement .Une épaisse fumée s’élève de toute part .Les communications sont alors coupés , tant avec les points d’appuis voisins que ceux établis sur l’Aisne et toute liaison est impossible
Le pilonnage continue jusque 9 ou 10 heures puis devient de moins en mois violent .Mais arrive maintenant plusieurs avions qui survolent le secteur et qui lâchent au hasard des chapelets de bombes un peu partout .Leurs bombardements s’accompagne de leurs sirènes sinistres..Tout cela se prolonge vers 13 ou 14h

Au début de l’après midi , le capitaine commandant la CDAC arrive à Merlet et apprend au Sous Lieutenant Villey que la ligne de l’Aisne est enfoncé et que le village d’Aguilcourt à 1500 mètres a l ouest est déjà fortement accroché
Il lui dit aussi qu’il doit s’attendre dans l’après midi à une contre attaque de chars amis qui devrait essayer de dégager les troupes encerclés sur l’Aisne
   

Le  petit hameau de Merlet en  arrivant d'Aguilcourt à gauche et d'Orainville à droite


Le sous Lieutenant Villey renforce avec quelques voltigeurs la défense de la lisière ouest et notamment la barricade établi sur la route Merlet -Aguilcourt .Il informe tout le mode de la situation et chaque soldat se tient à son poste de combat .Certains servants des canons de 25 mm s’installe comme voltigeurs à proximité dans les tranchées

Peu de temps après , un des deux guetteurs qui se trouvé de l’autre coté de la Suippe signale une approche de troupes ennemies et revient précipitamment .Il informe son chef de pièce qu’il a aperçu à quelque mètres de lui de lui un groupe ennemi d’une quinzaine d’homme environ .Il a pu revenir en courant et repassé la Suippe malgré les rafales de mitrailleuses


La  route   qui traverse la Suippe  avec le petit  pont au  fond  de  la  photographie

Aussitôt , le caporal du génie présent fait sauter le pont sur la Suippe dont la destruction avait été préparé .Mais le deuxième guetteur qui avait été envoyé au nord de la Suippe n’étant pas rentré , le sous lieutenant Villey demande des volontaires pour aller le chercher en employant un petite passerelle pour piétons qui n’avait pas été détruite

photographie prise au  nord de Merlet  montrant l'emplacement de  la  barricade  sur  la route  qui  donne  accés  à Merlet

Le corps du gutteur sera retrouvé sur la route à 100 mètres au delà du pont .Il fut atteint par une rafale de mitraillettes .Son corps sera ramené dans les lignes françaises. Il fut très probablement surpris comme son camarade par la patrouille allemande et a du être atteint en essayant de revenir .Il devait être alors 16 heures .Certains éléments ennemis avaient atteints la rive nord de la Suippe .Il avait réussi à arriver là grace aux broussailles le long de la rive . De nombreuses rafales d’armes automatiques sont entendues venant de la direction d’Aguilcourt

Un peu plus tard l’assaut ennemi est déclenché et un encerclement se dessine car les allemands attaque par le nord et l’ouest . L’effectif ennemi est estimé entre 800 et 1000 hommes soit l’effectif d’un bataillon

Laissons maintenant le Sous lieutenant Villey nous racontait l’assaut …..

« Le 9 juin 1940 , restera pour moi et pour mon régiment une journée tragique et inoubliable .Le régiment a reçu de plein fouet la formidable attaque allemande qui en 48 heures , a tout balayé , réduisant à néant le plan de notre état major qui était d’établir une dernière ligne de résistance sur la Somme et sur l’Aisne , pour tenter de couvrir la route de Paris .
Cette journée , qui restera pour moi « le jour le plus long » a vu se succéder une série d’événements qu’il est difficile de se représenter « à froid » : un bombardement intensif subi depuis 4 h du matin, entrainant la rupture de toute liaison entre les points d’appui , un encerclement systématique du point d’appui , un assaut final en fin d’après midi , une blessure qui me met hors de combat , la captivité pendant quelques heures , l’évasion au cours de la nuit , le retour dans les lignes françaises le lendemain au petit jour .Tout cela forme une odyssée presque incroyable .
Il est difficile d’imaginer ce que nous éprouvions alors .L’angoisse bien sûr , devant l’avalanche qui déferlait sur nous , un certain sentiment d’impuissance devant le formidable choc , mais aussi - et peut –être surtout - une sorte d’exaltation qui nous élevait au dessus de nous même , un esprit de sacrifice aussi devant une issue que nous sentions inéluctable .
Exaltation décuplé pour moi par le sentiment de ma responsabilité en tant que chef du point d’appui qui m’était confié.
Tenir sur place , coute que coute , face à un assaillant cent fois supérieur , dans des conditions dramatiques, sans liaisons avec les voisins et les supérieurs , tel était mon problème insoluble .

Quelques souvenirs de cette journée me reviennent en forme de flash :

- à la faveur d’une accalmie , la visite de mon Capitaine , venue en side-car , m’annoncer pour la soirée une contre attaque par chars ….. qui ne s’est pas produite ;
- la mort d’un de mes guetteurs , surpris par une patrouille et tué à bout portant ; le transport périlleux de son corps par trois camarades et moi-même afin de le ramener dans nos lignes. Je me souviens d’avoir pris avec émotion son portefeuille dans sa vareuse avec l’intention de le faire parvenir à sa jeune femme …. La suite ne me l’a pas permis ….

- une demande de renfort , hâtivement griffonnée en fin d’après midi et confié à un porteur , comme on jette une bouée à la mer , demande qui n’est jamais parvenue

Ces heures de tension extrême qui , transcendent toutes les réactions que l’on peut avoir dans les situations « normales », m’ont maintenu toutes cette journée dans une attitude de résolution inébranlable en dépit , et peut être à cause , de l’importance du défi qui nous est lancé .
Hélas, nous ne savions pas ce qui nous attendait !

Vers la fin de cet après midi du 9 juin - il pouvait être entre 18h et 19 h - le bombardement auquel nous étions soumis depuis le matin , cessa brusquement .C’est alors que nous vîmes une masse imposantes d’hommes, s’étendant sur une grande profondeur ,qui avançaient résolument vers nous , venant du nord , alors que d’autres progressait vers l’Ouest et vers le sud , effectuant une manœuvre d’encerclement.
Après quelques secondes d’hésitations , pendant lesquelles mon sergent et moi même nous nous demandions , en scrutant l’horizon à la jumelles , s’il s’agissait de soldats français qui refluait vers nous ou d’allemands qui attaquaient , aucun doute ne fut plus possible .

Je déclenchais alors le tir des deux fusils mitrailleurs et toutes les armes individuelles qui se trouvaient à cet emplacement.
Les attaquants effectuèrent alors une série de bonds , répondant violemment à nos tirs et , malgré leurs pertes , continuèrent leur progression ,favorisé grandement par la hauteurs des blés non encore coupés , qui leur permettait de se camoufler aisément .
Pendant cette progression , des éléments nouveaux surgissaient constamment du fond de l’horizon , l’Aisne ayant été franchie sur canaux pneumatiques au milieu d’un épais brouillard de fumées .

Bientôt , toute la plaine , couverte d’immenses champs de blé , fut remplie de soldats allemands que l’on apercevait dans toutes les directions .Nous avions l’impression d’être submergés !
Depuis leurs tranchées , les deux groupes de combats ne cessaient de tirer .Alors que les premiers éléments ennemis apparaissait dans les blés à quelques mètres de la tranchés , mon sergent a été tué à coté de moi d’une balle dans la poitrine et je reçus quelque instant après , une balle de mitraillette qui m’a traversé le poumon droit ….

A cet instant ou tout semblait être perdu , des impressions ressentis dans une demi inconscience restent dans ma mémoire : la certitude de la mort et la vision du champ de bataille après l’assaut .

  

La  voie  de  chemin  de fer menant à  Aguilcourt   et  à  droite le  hameau de Merlet  pris  de la voie  de  chemin de  fer

Au moment ou la balle m’a traversé de part en part , j’ai ressenti une formidable décharge électrique et je me suis effondré sans connaissance .Quelques instants après – il m’est impossible de savoir combien de temps , probablement quelques minutes - j’ouvrais les yeux dans une demi inconscience .J’étais étendu sur le dos , face au ciel , un de mes soldats arrachait ma chemise et me faisait une solide ligature avec son paquet de pansement , pour arrêter l’ hémorragie .Je respirais difficilement .Tournant la tète , j’aperçus de nombreux soldats allemands tout autour de moi et l’air retentissait de leurs vociférations et de leur ordre .Plusieurs de mes soldats étaient rassemblés et violement désarmés .Un chef me salua avec un retentissant claquement de talons et m’adressa la parole avec un très fort accent : « Y a-t-il encore des soldats français dans ce village ? »
N’obtenant pas de réponse, il n’insista pas et s’éloigna.

Le  petit  pont  traversant la  voie  de  chemin  de  fer et  à droite  l'endroit  d'ou part  l'assaut  ennemi  vers le  village  de  Merlet  au  fond

Mes soldats cherchèrent une vieille planche et m’y étendirent en guise de brancard.
Un flash inattendu m’est resté en mémoire : un soldat se pencha vers moi et me fit boire une gorgé de rhum qu’il avait dans sa gourde .
Quelles furent mes réactions au cours de cette scène vécue comme dans le brouillard ? en recherchant profondément dans ma mémoire , j’ai pu retrouver mes sentiments à ce moment précis .Une idée simple s’est d’abord imposé à moi : la certitude de la mort .C’est la guerre , je meurt au combat , comme tant d’autres , c’est normal .

Mais presque au même moment , comme par un dédoublement de ma personnalité , se produisit en moi une formidable réaction de tout mon être , de tout ce qui me restait de force : « non ! je vais essayer de vivre , de survivre , je ne peux rien faire d’autre maintenant .Aux milieu de ce désastre , puisque je suis encore en vie , je vais essayer d’être plus fort que la mort » Et je rassemblais toutes mes forces vitales pour surmonter le destin .

Je me souviens d’avoir été puissamment aidés dans mon combat singulier avec la mort , par le soldat qui se tenait à coté de moi et serrait les pansements autour de ma poitrine .Je haletais , je suffoquais , mais puisque je n’étais pas mort , je me raidissais dans un formidable élan vital
Nous avons été fait prisonniers et emmenés sous bonne escorte vers les lignes ennemies , qui extrêmement mouvantes et fluides , moi sur la planches portés par deux de mes soldats.
Une circonstance providentielle et le merveilleux dévouement du petit groupe de soldats faits prisonniers avec moi , m’ont permis d’échapper à la captivité en Allemagne .Ne les ayant jamais revu , je n’ai pu leur rendre l’ hommage que je leur dois , et je le fais aujourd’hui par cet écrit

Au cours de la nuit , alors que nous étions parqués dans un bois et que les combats s’était quelques peu éloignés , ils profitèrent de la confusion qui régnait et de la nuit noire pour s’évader et de me faire évader avec eux .De même qu’il m’avait assisté toute la soirée , il ne voulurent pas abandonner leur lieutenant et décidèrent de m’emmener presque malgré moi , trainant ma planche à travers champs dans une direction incertaine , se relayant à tour de rôle pour porter le fardeau que je représentais

Je garde un souvenir hallucinant de cette nuit à la fois de cauchemar et d’espoir ou , cahoté et haletant , je leur demandais dans une demi inconscience , de me laisser la et de partir en courant .Ils tinrent bon toute la nuit , emmenant leur chef vers un autre destin …
Le lendemain au petit jour , notre petit groupe arriva dans un village encore tenu par les Dragons de notre division .C’est la que mes sauveteurs ont du me quitter et je ne les ai jamais revus.

Emmené en camion vers l’arrière , j’ai été évacué dans plusieurs hôpitaux militaire , d’abord de Sézanne , puis à Montmirail et à Troyes ou j’ai subi une intervention chirurgicale .Par la suite , au plus fort de l’exode, un train sanitaire bombardé en cours de route m’a amené à Bordeaux après trois jours et trois nuits de voyage exténuant

C’est à Bordeaux que le 18 juin 1940 , j’ai aperçu de ma fenêtre d’hôpital le défilé des troupes allemandes victorieuse se dirigeant vers le Sud…..Ce même jour , j’entendais parler dans l’hôpital d’un appel que venait de lancer de Londres un certain Général de Gaulle »

Lors de ces combats sera tué le sergent Chauviere de la 9éme compagnie , faisant partie des groupes de voltigeurs mis à la disposition du Sous Lieutenant Villey
Agé de 26 ans et originaire de Clichy , il tombe le 9 juin vers 19h .Il se trouvait à 100 mètres au sud des habitations , derrière une meule de paille à coté de l’adjudant Georges


Le sergent  Chauviére  ,  lors  d'une  manoeuvre  avant la  guerre


Le 09 juin au soir , le lieutenant Pringent chef de section de la 1ere compagnie du 21 bataillon d’instruction du 80éme RI reçoit l’ordre d’aller récupérer les canons de 25mm restés à Merlet notamment prés du pont de la Suippe . Arrivé tardivement dans le secteur d’Auménancourt le 9 au soir ,l’ordre est exécuté le lendemain matin .Le groupe du Lieutenant Pringent doit rentrer dans le village appuyé par le feu des deux autres sections de la compagnie

Le 10 vers 5h donc , la section arrive a 200 mètres du village et aperçois un groupe de 15 soldats allemands se repliant vers le sud alors que nous nous trouvons à l’est du village
Le lieutenant veut rentrer dans le village avant que l’alerte soit donné .Les premières maisons sont fouillées et le village parait inoccupé
Mais quelques instants plus tard une sentinelle provenant du centre du village se dirige vers les hommes de la section .Le lieutenant Pringent l’abat d’un coup de revolver car il l’a voit prête à tirer sur un de ses éclaireurs .Mais à partir de ce moment la , le combat s’engage .Des coups de feu retentissent de toutes part..Une mitrailleuse lourde ennemie prend en enfilade la rue ou se trouve le groupe de soldat français .Elle sera mise hors de combat par un fusil mitrailleur du groupe
Plusieurs soldats sont tués , notamment le sergent DEGENNE et le caporal MALVOISIN qui se trouve dans le groupe de tète .Sous le feu ennemi , l’ordre de repli est donné conformément aux instructions données avant le départ de la mission ( l’ordre de départ était de se replier en cas de résistance trop importante) .Au cours du repli , le lieutenant Pringent s’apercevra que sa section était pratiquement encerclé . Après être arrivé à Orainville et ne trouvant le reste de sa compagnie , il emmènera sa section jusque Reims


  

A gauche  , Francois  VILLEY  ,  en  1945 ,  lors  d'une  cérémonie  au  cimetiére  provisoire  de  Brienne  sur  Aisne .A droite  , un groupe d'anciens   du  151ele RI dont Francois VILLEY ( rond bleu )  ,  en 1995 ,  lors des ceremonies  commémoratives de  juin  1940  également  à Brienne sur Aisne